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La CEDH se prononce une nouvelle fois sur l’interdiction du port de signes conventionnels en milieu scolaire

Publié le : 24/05/2024 24 mai mai 05 2024

Le 16 mai 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme a rejeté le recours introduit par trois élèves de deux écoles de l’enseignement officiel de la Communauté flamande contre l’interdiction du port de signes convictionnels visibles. La mesure critiquée, adoptée par le Conseil de l’enseignement officiel organisé par la Communauté flamande était appelée à s’appliquer à toutes les activités scolaires hormis les cours de religion et de morale non confessionnelle.

Par son arrêt Mikyas et autres c. Belgique du 16 mai 2024, la Cour a ainsi jugé qu’interdire aux élèves d’établissements secondaires de porter des signes religieux n’enfreignait pas leurs droits fondamentaux.

La Cour a estimé que les autorités belges en charge de l’organisation de l’enseignement avaient fait une correcte application de leur marge de d’appréciation en créant un environnement scolaire neutre et exempt de signes religieux portés par les élèves afin de garantir le pluralisme et la démocratie à travers des concessions diverses des individus.

L’événement ayant conduit à cette décision est une décision du 11 septembre 2009 du Conseil de l’enseignement officiel organisé par la Communauté flamande d’étendre à l’ensemble de son réseau l’interdiction du port de signes convictionnels visibles.  Cette mesure a été mise en œuvre par les établissements scolaires fréquentés par les requérantes par leurs règlements d’ordre intérieur prévoyant cette interdiction de port des signes convictionnels. Les parents des requérantes se sont vus déboutés le 23 décembre 2019 par la Cour d’appel d’Anvers de leur recours devant les juridictions civiles belges.

Quant aux droits fondamentaux en cause, les requérantes allèguent que l’interdiction de porter des signes convictionnels visibles dans leur établissement scolaire serait une atteinte à leur droit de manifester leur religion au sens de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

La Cour a considéré que la mesure prise par le Conseil de l’enseignement officiel organisé par la Communauté flamande était une ingérence dans l’exercice de leur droit à la liberté de religion. Elle se pose, ensuite, la question de savoir si cette ingérence peut être justifiée. À cet égard, la Cour a retenu les éléments suivants pour apprécier la légalité de cette ingérence :
 
  • L’ingérence était légale car prévue par le règlement scolaire des deux établissements scolaires concernés mettant en œuvre la mesure ;
  • L’ingérence poursuit un but légitime car elle vise à protéger les droits et libertés d’autrui et de l’ordre public ;
  • Enfin, l’ingérence a été jugée nécessaire dans une société démocratique pour deux raisons :
    • D’une part, l’enseignement officiel de la Communauté flamande est public et se doit ainsi d’être neutre conformément à l’article 24, §1er, al. 3 de la Constitution ;
    • D’autre part, la Cour a estimé que la décision du Conseil de l’enseignement officiel organisé par la Communauté flamande était motivée de manière circonstanciée et que les autorités nationales ont correctement fait usage de leur marge d’appréciation ;
  • Par ailleurs, l’interdiction ne visait pas que le voile islamique mais s’applique à tout signe convictionnel visible. Les requérantes ont librement choisi l’enseignement officiel tout en sachant que ce type d’enseignement était tenu de respecter le principe constitutionnel de neutralité.   

Cette décision s'inscrit dans le prolongement d’une tendance déjà bien présente dans la jurisprudence belge et européenne selon laquelle, dans une société démocratique, l’Etat peut interdire le port de signes convictionnels par des élèves en milieu scolaire sans porter atteinte aux droits garantis par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est déjà prononcée sur ce type de question dans les arrêts, prononcés en 2008, Dogru c. France et Kervanci c. France.

Au niveau des juridictions belges, la Cour constitutionnelle a déjà jugé dans un arrêt 40/2011 du 15 mars 2011 que l’article 24 de la Constitution permettait d’adopter une interdiction générale et de principe de port des signes convictionnels visibles pour les élèves de l’enseignement communautaire flamand[1]. Dans un autre arrêt du 4 juin 2020, la Cour constitutionnelle a estimé qu’une interdiction totale faite aux élèves de porter des bijoux, vêtements convictionnels ou tout couvre-chef pour créer un environnement éducatif neutre n’était ni contraire à la liberté d’enseignement ni contraire à la liberté de religion[2]. Le Conseil d’Etat a également été saisi de demandes de suspension et d’annulation de décisions interdisant le port de signes conventionnels.

Par cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’Homme confirme la jurisprudence établie ces 15 dernières années. Elle y rappelle le rôle important des Etats « en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des divers religions, cultes et croyances » et que « ce rôle contribue à assurer la paix religieuse et la tolérance ». La Cour juge en effet que, compte tenu des diversités nationales quant à la question du port de signes conventionnels, le décideur national est le mieux placé pour apprécier si ceux-ci peuvent ou non être autorisés, en fonction du contexte.

La Cour rappelle ainsi un rôle important dévolu aux Etats: identifier l’existence de sujets en débat et constater l’importance de ceux-ci; prendre la mesure de la sensibilité de la population et assurer la paix sociale. La Cour ne se prononce pas sur l’opportunité d’une méthode plutôt qu’une autre, mais reconnaît qu’une ingérence dans l’exercice d'un droit fondamental peut être une réponse pertinente à la poursuite d'un objectif légitime: faire fonctionner une société démocratique.
 

[1] C.C°., arrêt n°40/2011 du 15 mars 2011.
[2] C.C°., arrêt n°81/2020 du 4 juin 2020.

Auteurs

Margaux Kerkhofs
Avocate Associée
XIRIUS PUBLIC, Droit de la santé, Finances publiques, Droit public de la sécurité sociale, Légistique, Métiers et professions réglementés
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Clémence Lecomte
Avocate
XIRIUS PUBLIC, Droit constitutionnel, Droit de la santé, Droit de l'énergie, Droit de l'environnement et de l'urbanisme, Droit des contrats et marchés publics, Droit social de la fonction publique , Finances publiques, Médiation , Urbanisme et aménagement du territoire, Droit public de la sécurité sociale, Légistique, Métiers et professions réglementés
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